Pour cette nouvelle édition de Tënk the power 2020, nos abonné·e·s ont pris, le temps d’une semaine, les rênes de notre programmation. En votant pour leurs œuvres favorites, ils·elles ont déterminé quels seraient les films ‘coups de cœur » mis à l’avant pour cette dernière semaine de décembre. A cette occasion, ce sont donc six films à avoir été sélectionnés.

 

NOSTALGIE DE LA LUMIERE DE PATRICIO GUZMAN

[2010, 90′]

Résumé :

Au Chili, les astronomes venus du monde entier se rassemblent dans le désert d’Atacama pour observer les étoiles. C’est aussi un lieu où la sécheresse du sol conserve intacts les restes humains : ceux des momies, des explorateurs et des mineurs. Mais aussi, les ossements des prisonniers politiques de la dictature. Tandis que les astronomes scrutent les galaxies en quête d’une probable vie extraterrestre, au pied des observatoires, des femmes remuent les pierres, à la recherche de leurs parents disparus.

L’avis de Tënk :

Patricio Guzmán revient inlassablement sur l’histoire contemporaine chilienne et en sonde la mémoire dans cet essai cinématographique à la structure complexe où réflexion politique, philosophique et approche poétique s’entremêlent avec subtilité et sensibilité, se jouant d’associations improbables qu’il tisse avec grand art. Dans « Nostalgie de la lumière », sans nul doute son film le plus personnel, Patricio Guzmán explore une écriture, une approche formelle et une approche du montage qui se distinguent totalement de ses films précédents.

 

DIX-SEPT ANS DE DIDIER NION

[2003, 83′]


Résumé :

Jean-Benoît a dix sept ans, il habite avec sa mère dans la banlieue de Rouen. Quand il avait douze ans, son père a mis brutalement fin à ses jours. Adolescent fragilisé, il est en permanence sur le fil. Tourné pendant trois ans, le film accompagne ses multiples apprentissages : ses début dans le monde des hommes en tant qu’apprenti mécanicien, sa découverte de la bienveillance et de l’amour avec Héléna, la démission et la violence de sa mère. Le processus du film fait pleinement partie de son cheminement vers l’âge adulte.

L’avis de Tënk :

Disons-le d’emblée, la relation entre Didier Nion, réalisateur-filmeur et Jean-Benoît est fascinante ! Si les tentatives répétées d’auto-sabotage de l’adolescent alimentent le récit, c’est bien la proximité entre les deux hommes qui confère au film son étonnante humanité. Les regards qu’adresse Jean-Benoît à Didier sont bouleversants. Ils prouvent combien la magie du cinéma documentaire tient dans de petites choses, comme une distance juste et terriblement sincère.

 

LA PERMANENCE DE ALICE DIOP

[2016, 97′]

Résumé :

La consultation se trouve à l’intérieur de l’hôpital Avicenne. C’est un îlot qui semble abandonné au fond d’un couloir. Une grande pièce obscure et vétuste où atterrissent des hommes malades, marqués dans leur chair, et pour qui la douleur dit les peines de l’exil. S’ils y reviennent encore, c’est qu’ils ne désespèrent pas de trouver ici le moyen de tenir debout, de résister au naufrage.

L’avis de Tënk :

Une jeune femme craque, se met à gémir. Le médecin, de l’autre côté du bureau, est loin. Sa collègue psychiatre tient dans ses bras le bébé de la patiente. D’où viendra le réconfort ? En tant que réalisatrice, Alice Diop accomplit sa part dans le cabinet de consultation du Docteur Geeraert. Sa mise en scène, la place calculée et mesurée qu’elle accorde à la parole, la lenteur qui souligne tout ce qui se joue dans les interstices, lui permettent de donner à voir une réalité qui demande pour être vue de la patience. En posant sa main sur l’épaule de la jeune femme, elle malmène en quelque sorte le geste wisemanien, mais cela témoigne de l’humilité de son dispositif face à des destins très éprouvés.

 

ATTENTION ! DANGER TRAVAIL DE PIERRE CARLES, CHRISTOPHE COELLO ET STEPHANE GOXE

[2003, 105′]

Résumé :

Peut-on considérer la question du travail sous l’angle du refus sans provoquer la réprobation générale ? Est-il possible d’aborder le thème du chômage sans le présenter sous le signe exclusif de la tragédie, mais en y décelant au contraire un des moyens d’échapper aux griffes de l’exploitation ? « Attention ! Danger Travail » en propose l’expérience en présentant des chômeurs qui ne paraissent ni accablés ni désespérés. Une façon d’envisager autrement la recherche du bonheur, qui suscite l’incompréhension du patronat mais interroge surtout l’un des principaux fondements de nos vies.

L’avis de Tënk :

Ce film, vieux de presque quinze ans, retrouve par le hasard du calendrier électoral une actualité qu’il n’aurait en fait jamais dû quitter. Renouant avec l’histoire de la critique du travail, entre « Le Droit à la paresse » et « Le Manifeste des chômeurs heureux », il soulève tout l’intérêt d’un revenu déconnecté du travail, sans condition et garanti à tous, pour sortir nos sociétés du productivisme, de l’impasse écologique et de la précarité généralisée, comme avait pu l’observer André Gorz dès la fin des années 1980.

 

MOI, UN NOIR DE JEAN ROUCH

[1957, 74′]

Résumé :

Trois Nigériens et une Nigérienne s’installent à Treichville, banlieue d’Abidjan, chef-lieu de la Côte d’Ivoire. Comme nombre de leurs compatriotes, ils tentent l’aventure de la ville… Amère aventure pour ceux qui abandonnent leur village et se heurtent à une civilisation mécanisée.

L’avis de Tënk :

Il est des films que le temps n’atteint pas. Grand film des années 50, « Moi, un Noir » est de ceux-là, une pépite enthousiasmante. Sugar Gay Robinson et Eddie Constantine sont libres de tout faire, de jouer leur propre rôle sans retenue, sous l’œil de la caméra de Jean Rouch. Libres de tout dire aussi lors de la projection du film au cours de laquelle il invite Robinson à commenter les images pour sonoriser le film. Le « filmeur » donne ainsi le pouvoir au « filmé » d’inventer son propre récit, d’aller y puiser la fiction. Le commentaire au ton espiègle transforme littéralement les images et la fable devient plus réelle encore. Dans cette attention portée à l’autre, le cinéma de Jean Rouch se révèle d’une générosité et d’une liberté trop rare.

 

LE PLEIN PAYS DE ANTOINE BOUTET

[2009, 58′]

Résumé :

Un homme vit reclus depuis trente ans dans une forêt en France. Il creuse en solitaire de profondes galeries souterraines qu’il orne de gravures archaïques. Elles doivent résister à la catastrophe planétaire annoncée et éclairer, par leurs messages clairvoyants, les futurs habitants. Le film raconte cette expérience en marge de la société moderne, affectée par la misère humaine et la perte définitive d’un monde parfait.

L’avis de Tënk :

Le monde est trop plein pour Jean-Marie et cette surpopulation qu’il redoute – parce qu’elle annonce la catastrophe à venir – trouve une incroyable concrétisation dans les excavations qu’il crée un peu partout dans sa forêt. Il y met de la hargne et de la persévérance à extraire ces blocs rocheux de la terre fertile de son pays. On hésite tout au long du film : est-ce un fou ou un génie ? La fascination que suscite un tel personnage et la rigueur cinématographique qui nous tient de bout en bout, confèrent à ce « Plein pays » une dimension de film culte.